Elle s’appelle Claire Bonnaz. Elle a longtemps travaillé avec les enfants, jusqu’à perdre son emploi au moment d’accueillir son cinquième enfant. À l’aube d’une nouvelle saison de vie, elle s’est demandé ce qu’elle avait réellement envie de faire. Écrire, être une voix, émerveiller, conter… Comment devient-on conteuse ? Claire a accepté de répondre à mes questions. Vous pouvez découvrir l’interview en vidéo ci-dessous, ou la transcription texte juste après.

Claire, peux-tu te présenter en 5 mots ?

  1. Rêveuse
  2. Maman : j’ai 5 enfants et ça compte beaucoup pour moi, ça m’a beaucoup changée.
  3. Rosée : ce que j’aimerais être, c’est comme la rosée. Être là après la nuit, pour renaître à la vie, pour raviver les plantes qui ont traversé la nuit. Cette image me parle beaucoup dans ce que j’entreprends avec le conte en ce moment. Être une voix qui réveille à l’émerveillement et à toute la magie de la vie.
  4. Femme : ça joue, c’est ce que je suis.
  5. Auteure : j’écris des chansons avec mon mari (IsaAc Bonnaz), des histoires et des romans

Écrire ou conter, quelles différences pour toi ?

J’ai une écriture assez écorchée. Je vais plus parler de certaines souffrances, notamment de l’exil et de la folie. C’est deux thèmes qui sont en moi et que j’ai besoin de transcender par l’écriture.

Pour le conte, je ne fais que du conte traditionnel. Ce sont des histoires que je n’ai pas écrites. Je les transforme mais je suis là pour être une voix pour les re-raconter. Elles ont passé des siècles et sont toujours là. Dans mon spectacle « Claire de peau », ce sont des histoires de femmes. Les questions que l’on se pose en tant que femme dans notre société moderne, on voit que dans les contes que cette question est là dans l’humanité depuis tout le temps. Les contes que j’ai choisis sont des contes pour adultes, des histoires d’écorchés, malgré tout. Le thème du spectacle c’est la peau (NDLR « Claire de peau »), comme la nature propre de ce que l’on peut être. On est bien dans sa peau… ou pas, revêtir une peau.

Ce que je vais écrire vient d’une histoire plus personnelle, même si c’est inventé. Alors que le conte vient de l’humanité. On ne peut pas être que individu et les contes traditionnels englobent cette humanité. Les contes que j’ai choisis viennent des quatre coins du monde et malgré les ethnies différentes, les lieux et les époques, il y a des points communs. C’est au-delà de celui qui raconte l’histoire. Ça peut parler à tout le monde, à toute époque. Ça me ramène à mon humilité. Dans l’humanité il peut y avoir quelque chose d’écrasant : le poids du groupe, de la collectivité. Mais il y a aussi quelque chose de l’ordre du sens. D’être humain

As-tu toujours voulu conter ?

Quand j’avais 18 ans, il y avait une tente dans un parc. Il y avait du monde, je suis entrée. Il y avait une conteuse. Je crois que c’est la première fois, de souvenir, que j’ai entendu conter dans un tel cadre. Je ne me souviens pas des histoires mais je me souviens du ressenti. J’étais émerveillée.

Jamais je ne me suis dit que je pouvais faire ce métier. ou même penser que c’était un métier. J’ai toujours voulu travailler auprès des enfants. C’est ce que j’ai fait. À la naissance de ma dernière, mon travail s’est arrêté et je me suis posé la question : Qu’est-ce que je fais ? J’hésitais entre m’orienter vers les orphelins ou faire du conte.

L’idée est venue parce que je lis beaucoup de contes. Depuis quelques années, je vadrouille pas mal dans les spectacles jeune public. J’ai vu des spectacles, du théâtre, du conte. J’ai regardé si je pouvais faire une formation de conteuse et il y en avait une pas loin de chez moi. Je ne savais pas où je mettais les pieds. Lorsque j’écris, ça m’est arrivé d’écrire des contes mais je n’en ai rien fait d’autre que les écrire.

Quand j’ai vu cette formation, il y avait de la place, je me suis inscrite. Mais quand j’ai commencé, je n’ai pas calculé. Je ne me suis pas dit « je vais devenir conteuse ». Je ne sais pas si on le devient. Je me suis dit à un moment donné « je vais faire un spectacle de contes ». J’ai envie d’enrichir cet univers et ce savoir qui est précieux, parce que tout est dans la mémoire. C’est drôle de voir comme cela s’inscrit dans la mémoire. Il faut le travailler mais je peux le faire là-haut sur la montagne, je n’ai pas besoin d’ordinateur. C’était un défi, je ne savais pas comment j’arriverai à retenir tout cela. Ça n’a donc pas été un projet. Je n’ai pas monté de business plan pour arriver à être conteuse. Lorsque j’ai suivi la formation, c’était pour oser. Oser être une voix. J’étais très timide, toujours plutôt en retrait. Et là, de conter, de porter l’émerveillement, c’est fabuleux.

De la formation à ton spectacle, quelles ont été les étapes ?

C’était pas facile de conter en formation, devant tout le monde. Je tremblais, j’avais la voix qui chevrotait.

J’ai commencé à travailler avec une comédienne. Je ne voulais pas être limitée. J’ai commencé à travailler le placement de voix, l’articulation, le volume. Très vite, j’ai choisi des contes qui m’ont parlé, que j’ai emmêlés, démêlés, torturés, déliés, et que j’ai racontés. En travaillant avec une comédienne j’avais envie de monter un spectacle de contes.

Il y a eu le moment où j’ai juste aimé les contes que j’ai choisi, puis le moment où j’ai du me les approprier. Je ne savais pas où je mettais les pieds. Se les approprier, ce n’est pas calculé. À un moment donné j’ai mis un sens dedans que je n’avais pas mis lorsque je les avais choisis. Le sens qu’il y a eu à force de les travailler, de les répéter, de les conter, avec la vie, ça m’a percutée, par rapport à moi, mon humanité, ma vie, ma féminité, ce que je suis. L’idée est de raconter des histoires incarnées. Pour pouvoir partager cela, il fallait que j’apprenne à être généreuse de mes propres émois. Il y a une part de soi qu’on doit donner et c’est ce travail que j’ai fait avec la comédienne. On n’imite pas les émotions, on les offre. Il fallait donc aller les chercher en soi. C’est paradoxal parce que c’est un travail mais il y a quelque chose de non maîtrisé. J’ai eu beaucoup de chance d’être en face à face avec une comédienne. Seule, j’aurais juste raconté des histoires.

Pourquoi est-ce que c’était « le bon moment » ?

Je sortais d’une expérience professionnelle où j’ai perdu mon travail dans lequel je m’étais investi. J’avais répondu aux exigences de la fonction publique, dans l’optique de l’intérêt général, de l’intérêt des enfants. En perdant ce travail, j’étais insatisfaite : j’ai mené à bien la mission que j’avais, j’ai géré une équipe de 70 personnes. Et ça c’est fini.

Je me suis demandée : vers où je repars ? Professionnellement parlant. Je partage ma vie avec un musicien qui est intermittent du spectacle, donc au niveau professionnel, j’étais un peu, dans ma tête, la sécurité de la famille. Et ça veut dire que je dépends de quelqu’un d’autre, que j’embarque ma responsabilité de mère ou ce que j’y mets derrière, le fait de pourvoir à leurs besoins. Voir que l’âge passe quand même, et qu’au fond de moi, je me fige.

J’aimais beaucoup m’occuper des enfants, et j’aime toujours, mais je me suis posée des questions sur l’institution : est-ce que je servais les enfants ou l’institution ? Le fait de perdre mon travail comme ça, c’est que je suis personne. Je suis un rouage. L’institution se suffit à elle-même. Elle a claqué la porte au moment où je devais accueillir mon cinquième enfant.

J’ai commencé la formation de conte et je me suis dit, tant pis, je ne sais pas où je vais, mais j’y vais. En fait, je crois que toute ma vie je ne savais pas où j’allais, mais là, l’illusion est tombée. Ces toutes ces questions-là, la perte de mon travail, l’arrivée de ma dernière, le changement d’âge… le fait de chercher le sens.

Qu’est-ce que tu as appris sur toi au-travers de ce cheminement ?

Je pensais que les émotions, il fallait plutôt savoir les maîtriser, les gérer, pas embêter les autres avec nos émotions. Et là, je me suis retrouvée face à une limite qui ne venait que de moi, de me dire que je me suis trompée. Longtemps. Est-ce que je veux être généreuse ? Et comment je fais ? Je pensais que j’étais plutôt une fille sympa et généreuse. Mais là, ce n’était pas dans le domaine du « rendre service » ou « on va boire un coup et c’est sympa ». Là, c’est dans le domaine du cœur, de se donner, de se mettre à nu. Conter c’est se mettre en danger dans le sens de se dévoiler, montrer un peu sa peau.

Est-ce que ce n’est dû qu’aux contes ? Je sors d’une période de 10 ans, 5 grossesses, l’accueil de nouveaux-nés. J’étais face à l’inconnu. Je ne savais plus comment faire. Je me déterminais comme maman, maman de bébés. Et là, ce n’était plus ça. Et en même temps j’avais très envie de sortir de ce temps qui n’est que dans le face à face et le maternage.

Il y a aussi eu le fait qu’entre travailler pour des enfants en tant que fonctionnaire et aller faire du conte sans aucune assurance, sans presque aucun revenu, à un moment donné, il fallait le faire. C’est arrivé cet été. Il fallait que je saute ou pas. Mais il fallait que je décide. Il n’y avait pas de bon ou de mauvais choix. Mon choix a été « c’est ce que j’ai au fond de moi ». J’ai le rêve d’essayer d’offrir le rêve, de m’accrocher à cette partie de vie de l’émerveillement. Je n’arrive pas à raconter des histoires de princesses. Ce n’est pas des contes de fées. Peut-être que j’en ferai plus tard. Ce n’est pas parce que je parle d’émerveillement que c’est du merveilleux. C’est des histoires très humaines.

Quelle est la plus belle chose selon toi, dans le conte ?

Je vois deux choses. L’émerveillement dans le récit et le fait que le conte transcende. Le conte, c’est comme un rocher. La mer est passée, des siècles, il est encore là, il est poli. Moi je le raconte mais des milliers de personnes l’ont raconté avant et des milliers après. Le cœur du conte ne bouge pas. Et c’est fou parce qu’on est que dans de l’oral. On est tous différents et sur certains points on a raconté la même histoire au fil des siècles. Et pourtant, je t’aurais rencontré, on n’aurait peut-être pas réussi à s’aimer ou à se parler. Le fait que ce soit oral aussi, ramener la valeur de la parole dans ce monde d’images et de consommation.

C’est quoi ta vie, maintenant ?

Chaque matin, je me lève, il faut que j’invente ma journée. Comment j’avance pour faire avancer mon spectacle ? C’est tout nouveau. Je développe le spectacle « Claire de peau », je fais de la com’, j’essaie de me faire connaître. Je le propose dans des lieux culturels (bibliothèques, festivals), mais je le propose aussi dans les collèges et lycées. Je fais des interventions suivies d’un débat, avec les jeunes, pour voir toutes les thématiques qui ont été soulevées par les contes. Toute mon expérience dans l’animation est une grande richesse. Le débat de groupe, je suis à l’aise là-dedans. C’est vraiment chouette. Et eux découvrent que le conte, ce n’est pas forcément Cendrillon. Ou pour les petits.

Je travaille toujours avec une comédienne pour le nourrir. J’ai fait une première avec mon conjoint musicien. On a intégré de la musique entre les contes.Je continue d’écrire mon second roman. Je travaille un petit peu en librairie. Et je m’occupe de mes enfants.

Est-ce que tout le monde peut conter ?

Oui. Tout le monde peut conter. Mais tout le monde ne veut pas. Je pense que conter, c’est du travail. Pour transmettre, se laisser traverser. C’est pas un travail figé qu’on peut vraiment déterminer, mais il y a le fait de répéter, répéter, le sens qui s’enracine, de l’incarner. Il y a quelque chose éclot.

Qu’est-ce que tu souhaites transmettre à tes enfants

Ce que j’espère c’est qu’ils sont avec moi, embarqués dans cette mouvance de vie. Une des choses dont je suis fière, c’est d’avoir lâché prise, d’avoir accepté le changement, de bouger d’où j’étais, sans trop le maîtriser. Je peux le dire maintenant qu’il y a déjà eu des déplacements déjà passés.

Dans cette vie, mes enfants le reçoivent. J’espère qu’ils reçoivent de la liberté. De la conscience à la liberté. Après, c’est eux qui le diront, plus tard. Pour l’instant, ils m’aident à réciter mes contes. Les grandes font les professeurs, me donnent leur avis. Elles content elles-même. Quelques fois j’ai pu emmener une de mes filles à un spectacle et elle m’a aidé à monter le matériel. Dans cette insécurité, dans cette imprévisibilité il y a tout ça. J’espère semer la conscience de la liberté mais ça a un coût.

Retrouvez Claire Bonnaz sur son site en cliquant ici, et découvrez l’un de ses contes du spectacle « Claire de peau » en vidéo ci-dessous 🙂

« Inuk », conte Inuit du spectacle « Claire de peau »

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